Michel Guérard dernière légende de « la Nouvelle Cuisine »

Les chefs Michel Guérard, Pierre Troisgros et Paul Bocuse étaient parmi les fondateurs de « la nouvelle cuisine »

Dans de nombreuses activités il y a des générations miraculeuses. La France a connu la sienne avec la gastronomie. Ils s’appellent Bocuse, Chapel, Haeberlin, Lenôtre, Outhier, Jacques Pic, Senderens, Troisgros, Vergé, et bien sûr Guérard. Ils ont écrit l’âge d’or de la cuisine française du début des années 1960 aux années 1980…

Une dizaine de visionnaires qui ont bousculé un savoir-faire culinaire hérité du XIXe siècle. Avec la disparition de Michel Guérard la gastronomie française perd sa dernière légende.

— Portrait du chef Michel Guérard

Le chef cuisinier, installé à Eugénie-les-Bains dans les Landes. Il est considéré comme l’un des fondateurs de la «nouvelle cuisine».

Il était né le 27 mars 1933, à Vétheuil, village du Vexin partagé entre la Seine et une église que Claude Monet immortalisa ; Monet, dont Guérard se plaisait à dire qu’il était un peintre « dont la liberté d’expression n’avait jamais cessé d’imprégner (sa) vie et (sa) philosophie ».

Une enfance nourrie au double matrimoine d’une grand-mère et d’une mère, toutes deux excellentes cuisinières. La première tient une épicerie cossue, la seconde ouvre bientôt, avec son mari, une boucherie en Normandie. Les premiers souvenirs alimentaires se partagent entre plaisirs intenses et privations des hivers rudes de l’Occupation.

Dans ses mémoires, Guérard raconte aussi bien ces tartes « formidables faites d’un bout de pâte, de fruits ultra mûrs, d’une lichette de beurre, d’un peu de sucre avant que de passer au four » aussi bien que le souvenir de ce papa prisonnier, évadé, revenu « le jour de ma première communion et qui essaya dès lors de nous nourrir et de nourrir le village ».

Le petit Michel n’oubliera jamais cette nuit où, avec son frère, il accompagna son père pour chercher une vache clandestine afin de la ramener à la maison. « Le lendemain, on s’est tous retrouvés, plaqués contre le mur de la cave : trois SS, armés de mitraillettes, nous menaçaient, essayant de nous faire avouer où on avait caché la bête. On l’avait planquée derrière les fagots. Elle n’a pas bougé. Personne n’a rien vu. Un miracle ! »

L’adolescent se rêve évêque, comédien, médecin, mais, à 16 ans, ses parents, désormais installés à Mantes-la-Jolie, lui demandent de choisir un métier sans plus attendre. Sans regret, sans rébellion, « l’époque était ainsi faite », il entre alors comme apprenti pâtissier chez Kléber Alix, traiteur réputé de la région où l’on apprend à l’ancienne, à la rude, dans un mélange de paternalisme et de discipline. « C’était une sorte d’arrachement à l’enfance où il fallait se conduire comme des petits hommes, se souvient Guérard. On sentait que notre métier était notre destin. » Et le destin dès lors de s’en mêler. Premier de son CAP, il rencontre le jour de sa remise de diplôme au Palais d’Orsay, à Paris, un certain Jean Delaveyne, de quinze ans son aîné, et qui deviendra, outre l’un des meilleurs chefs de sa génération, une sorte de mentor pour le jeune homme. « C’était un personnage très singulier, un homme issu du peuple lui aussi, qui avait son franc-parler. Comme moi, il avait été marqué par le mauvais traitement que nous infligeaient souvent les cuisiniers dans les brigades. Il avait donc un besoin de revanche. Il était particulièrement créatif et libre, avait des tas d’idées auxquelles n’avaient jamais pensé les chefs. »

Chez ces deux-là, la même envie de bousculer le monde culinaire fortifiée par une de ces amitiés entre un Montaigne et un La Boétie qui se retrouveraient aux fourneaux.

Service militaire dans la marine, découverte de Paris comme chef pâtissier puis chef saucier au Crillon, précoce meilleur ouvrier de France en pâtisserie, chef pâtissier au Lido, second de cuisine chez l’ami Delaveyne au double étoilé restaurant Camélia, à Bougival, Guérard commence une irrésistible et iconoclaste ascension. En 1965, il rachète à la bougie un boui-boui nord-africain à Asnières-sur-Seine, le baptise Le Pot-au-Feu et le métamorphose en un inattendu et incontournable bistrot. Michelin lui accorde deux étoiles et le redoutable duo de critiques Gault et Millau le proclame « meilleur restaurant de banlieue du monde ».

C’est que, dans ce resto de poche, Guérard n’en fait qu’à sa toque, et sa toque est bien faite. Il est de ceux qui comprennent que le monde change, que les codes se bousculent et que l’énergie des années 1960 passera fatalement par l’assiette.

Le public n’est plus le même, l’appétit non plus. Le mangeur contemporain d’alors a le souci de son corps, fait du sport, se plaît à voyager, cultive l’idée du temps libre. Il lui faut une cuisine qui lui ressemble. Avant même que d’imaginer des recettes de son temps, Guérard pressent une autre sociologie gastronomique. Lui comme d’autres. Ils s’appellent Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or, Alain Chapel à Mionnay, les frères Troisgros à Roanne, Roger Vergé à Mougins, bientôt Alain Senderens à Paris. Tous partagent cette idée d’oxygéner une cuisine fatiguée d’un demi-siècle bourgeois figée entre les fonds de sauce et Escoffier.

Tous revendiquent également la même envie de changer l’image du cuisinier jusqu’alors condamné à passer sa carrière rivé aux mêmes casseroles et aux mêmes recettes. Tous plaident le droit légitime du chef à désormais s’autoriser la créativité, la saisonnalité, la liberté de s’exprimer au-delà de son seul restaurant. Cette génération dorée invente soudain l’une des plus formidables aventures gastronomiques que Gault et Millau ne tardent pas à baptiser « nouvelle cuisine » et à laquelle le monde entier se convertit au risque de délicieuses polémiques.

Une folle bataille entre les anciens et les modernes dont Guérard incarne l’un des plus brillants chefs de file. Lui parmi les plus entreprenants. Lui parmi les plus novateurs. Sa carrière est un roman. En 1974, après son mariage avec Christine Barthélémy, héritière de la Chaîne thermale du soleil, il s’installe à Eugénie-les-Bains. Là, il développe sa grande cuisine minceur dans l’audace quasi prophétique de prouver que la gourmandise n’interdit pas la diététique. Il en fera un livre devenu best-seller mondial qui lui vaudra la couverture du Time Magazine. Son intuition devenue réalité fait de son village landais le « premier village minceur de France ».

Une carrière de tous les feux qui n’oubliera pas de s’illustrer au creux de l’assiette. Cinquante ans avant que l’on ose la formule de plat signature, il inscrit au patrimoine culinaire une série de recettes totémiques dont la fameuse salade gourmande, osant audacieusement la rencontre entre haricots verts, foie gras et vinaigre. Le loup en varech, la cuisson lente du homard à la cheminée ou encore le confit byaldi, version toute personnelle du tian de légumes auquel le dessin animé de Disney Ratatouille offrira une inattendue postérité, sont autant de compositions fondatrices d’une modernité culinaire.

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📸 Les chefs fondateurs de la « Nouvelle Cuisine », Pierre Troisgros , Paul Bocuse et Michel Guerard – Pierre philippe Marcou – AFP

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